Salles de consommation à moindre risques. La France franchit le pas, à quand la Belgique?

La France inaugurera en 2013 ses premières salles de consommations à moindre risques (SCMR) pour usagers de drogues. Une décision qui semble logique d’un triple point de vue de santé publique, de promotion de la santé des usagers, et de sécurité urbaine. Pourtant, les débats ont été passionnés et les oppositions féroces. On est en droit de se demander pourquoi, en dépit de leur efficacité avérée, la mise en place de nouveaux dispositifs d’aide et de Réduction des Risques pour usagers rencontre tant d’opposition auprès d’une partie des décideurs et de l’opinion publique. Et surtout comment y remédier pour pouvoir rencontrer et aider nos publics avec les moyens adaptés.Depuis plusieurs années en France, de nombreux acteurs de la santé et du social, du monde de la recherche, des groupes d’élus locaux, d’usagers,… ont mené une large campagne pour la mise en place des SCMR au bénéfice des usagers de drogues. Information tous azimuts, pétitions, actions médiatiques,… La nouvelle ministre française de la Santé a finalement annoncé la mise en place en « projets pilotes » d’un nombre limité de SCMR dans certaines villes du pays dimanche dernier. L’Hexagone rejoint ainsi les « triples A » de l’aide aux toxicomanes comme l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Espagne, la Suisse et le Luxembourg pour ne citer qu’eux.

Les SCMR visent à offrir un espace sécurisé pour que les consommateurs de drogues les plus précarisés puissent consommer dans des conditions d’hygiènes optimales. La consommation des produits psychoactifs amenées par l’usager (pas de pourvoyance dans les SCMR, à la différence des programmes de distribution d’héroïne sous contrôle médical) se fait dans un local propre, avec du matériel stérile et sous la supervision de professionnels. En plus de diminuer les risques d’infection ou de transmission de maladies liées aux consommations, l’accueil de ces personnes permet surtout de les rencontrer et de leur fournir une aide adaptée : mise en ordre administrative, orientation vers des structures de soins généralistes ou spécialisés,… Ce type de dispositif doit permettre la rencontre de groupes d’usagers très précarisés, très difficiles à atteindre, des personnes sans couverture sociale et qui n’ont souvent pas accès aux structures sanitaires et sociales conventionnelles, voire spécialisées.

En fréquentant les salles de consommations, les usagers échappent aussi, pour un temps, à la rue, et ne consomment plus dans l’espace public. Le réconfort et l’accueil offerts peuvent aussi avoir une conséquence indirecte très appréciable : aider à remédier aux situations de scènes ouvertes et de consommation en rue dans certains endroits déterminés. Cette réduction des nuisances liées à l’usage de drogues en rue facilite la restauration d’un minimum de convivialité et de sentiment de sécurité pour les habitants de ces quartiers.

Les SCMR peuvent donc amener des effets bénéfiques en termes de santé publique, de sécurité, et de diminution des coûts sociaux liés à l’usage de drogues. Comment, au vu de ces avantages, expliquer autant de réticences et d’objections à la mise en place de ces dispositifs ? En France comme en Belgique, à chaque nouveau projet, à chaque dispositif venant compléter l’offre existante (accueil à bas seuil d’exigence ou seuil adapté, SCMR, testing, distribution d’héroïne sous contrôle médical, …), les mêmes arguments sont invoqués et les mêmes peurs doivent être dissipées : « incitation à la consommation », un « mauvais signal », « il faut guérir les toxicomanes au lieu d’entretenir les consommations »,…

Les opposants à ce type de projet pensent-ils franchement que des professionnels de la santé, avec toute l’expertise accumulée, veulent inciter à la consommation ? La mise en place d’un projet spécifique visant à élargir la palette d’offre existante pour les usagers de drogues n’est pas une finalité en soi, c’est juste un moyen de rencontrer nos objectifs. Les acteurs spécialisés dans les assuétudes ne se réjouissent en aucun cas du succès de ce type de dispositifs mais lorsque ce qui existe ne suffit pas ou plus, l’opportunité doit exister pour des solutions qui ont déjà montré leur efficacité ailleurs. Les acteurs de terrain, simples professionnels du social et de la santé, ne devraient pas être amenés se transformer en lobbyiste aguerri pour avoir le droit de pratiquer leur métier avec un maximum de conditions favorables et d’outils disponibles.

Les professionnels de nos secteurs sont certainement ceux qui doivent le plus justifier leur action, le plus convaincre pour être autorisés à venir en aide à leurs publics. La patience de ces acteurs doit être soulignée, eux qui répètent, souvent dans le vide, les mêmes arguments depuis la mise en place des traitements de substitution à la méthadone. Il y a presque 30 ans, les premiers prescripteurs de méthadone ont suscité les mêmes réticences, les mêmes indignations et les mêmes suspicions d’incitation à la consommation que les salles de consommations ne l’ont fait en France au cours des deux dernières années. Ne faudrait-il pas rappeler à ces opposants que l’accès à la santé est un droit élémentaire pour tout citoyen, usagers de drogues compris donc ?

Pour revenir chez nous, en Belgique dans nos grandes villes, certains endroits publics sont devenus des lieux de rendez-vous quasi permanents, de deal et de consommation en rue de personnes très précarisées. Des salles de consommations constitueraient, dans certains lieux déterminés, la meilleure réponse connue pour apporter des solutions que ni les services spécialisés, ni les dispositifs RdR existants dans leur configuration actuelle, ni les forces de l’ordre ne parviennent à « résoudre » seuls. A Bruxelles notamment, le quartier Ribaucourt-Yser fait aujourd’hui l’objet d’une action concertée entre acteurs spécialisés et locaux pour répondre à une situation de « scène ouverte ». Les forces de l’ordre de la zone de police concernée ont fait appel au secteur spécialisé en premier lieu pour protéger les usagers de drogues souvent pris à partie  par des habitants du quartier…

La Belgique n’échappe donc pas à la règle et dans notre pays aussi des SCMR devraient pouvoir être mises en place rapidement là où cela s’avère objectivement bénéfique. Espérons que sur le plan du débat d’idées et de l’information du public et des décideurs concernés il ne sera pas nécessaire de réinventer l’eau tiède. Les nombreuses études déjà réalisées à l’étranger sur les salles de consommation doivent pouvoir convaincre tout interlocuteur sensé.

Car en Belgique il nous faudra, en plus de dissiper les angoisses et de contrer les arguments infondés, trouver quels sont les interlocuteurs politiques compétents ou responsables pour agir… Qui du fédéral, des « entités fédérées » ou du local prendra ses responsabilités, ou  au contraire empêchera le projet d’aboutir? Quelle construction allons-nous devoir inventer pour mettre un « simple » projet d’insertion sociale et de santé en place dans notre ville/région divisée en 19 communes ? En plus de devoir être un maître lobbyiste, le professionnel des addictions doit en Belgique se doubler d’un adepte de la tuyauterie institutionnelle et avoir de solides ressources en droit public.

Ludovic HENRARD,
FEDITO Bxl

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